Depuis ma jeunesse, je fredonne cette antienne qui sous le ciel gris de la Toussaint introduisait les vêpres des morts et la procession au cimetière. « Ils danseront les os que tu broyas ». Ce refrain reprend force aujourd’hui. Imaginez aux quatre coins de l’Europe une immense danse des morts, plusieurs millions de jeunes cadavres, fauchés par ce qu’on a coutume d’appeler la Grande Guerre ou la « Der des Ders », pour parler comme les naïfs de l’époque. Ce prochain dimanche, nous commémorons le centième anniversaire de l’armistice qui mit un terme -provisoire – à cette boucherie sans nom.
Je n’épiloguerai pas ici sur les pertes irréparables de cette génération de jeunes qu’on envoya mourir dans les tranchées, les plus célèbres, comme Charles Péguy, et les plus oubliés dont les noms s’alignent tristement sur les monuments aux morts des mairies ou disparaissent sous les croix anonymes des cimetières de la Somme ou de Lorraine. Ni la souffrance des femmes espérant le retour de l’être aimé qui ne reviendra plus, ni le désarroi des orphelins qui devront grandir sans repère paternel.
A quoi bon ce carnage de millions d’hommes morts le plus souvent pour une cause qui n’était pas la leur ? Puisque vingt ans plus tard on rajouta d’autres plaies à celles qui n’avaient pas eu le temps de guérir. Ce 11 novembre, je ne fêterai pas la défaite des uns et la victoire des autres. Je rougirai plutôt de honte à la pensée que l’immense majorité de ces victimes, comme les maréchaux, empereurs et politiciens qui les envoyèrent à la casse, étaient comme vous et moi baptisés dans le nom de Celui qu’ils chantaient comme « Prince de la Paix », Celui qui qualifiait de « bienheureux » les « artisans de paix ».
Cette guerre, comme tant d’autres, fut intestine à la chrétienté. Elle déchira une fois de plus la tunique sans couture du Christ, comme celle qui, au début des temps modernes, opposa pendant trente ans catholiques et protestants dans l’horreur et le sang.
Quand donc sortirons-nous de cette logique de mort pour entrer dans la civilisation de l’amour ? Quand donc commencerons-nous enfin à jouer le jeu évangélique ? Nous avons besoin de témoins nouveaux pour nous en réapprendre les règles.
Fr. Guy Musy op
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