Homélie de la Fête du Baptême du Seigneur, le 10 janvier 2021

Par Fr. Philippe Jeannin OP


La fête du baptême du Christ, qui clôt le temps de Noël, s’ouvre par cette invitation. Comme s’il y avait un lien entre la soif et le baptême, non pas en raison de l’eau – qui désaltère d’une part et qui lave et purifie par le baptême d’autre part – mais comme pour nous inviter à considérer le baptême sous l’angle de la soif.


Notre monde ne semble plus avoir soif de Dieu et les baptêmes par tradition se font rares… Combien de grands-parents souffrent de ce que leurs petits-enfants ne sont pas baptisés ! On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ! Vous connaissez le proverbe : il se vérifie ici : combien de baptisés n’ont pas découvert par eux-mêmes le sens de leur baptême et le laissent en friche, le confondent avec l’appartenance à l’Église et souhaitent s’en défaire ou demandent à être « débaptisés » lorsqu’ils sont en désaccord avec les positions de l’Église ou scandalisés par certains agissements scandaleux dans l’Église !!!


Un article a révélé cette semaine que près de 30% de pratiquants, jusque-là fidèles à la messe dominicale, ont choisi de ne pas y revenir après ces mois de Covid… Certains ont lâché par prise de conscience que la messe ne leur apportait plus grand-chose, d’autres parce qu’il est plus confortable d’entendre l’homélie dans son fauteuil chez soi, au chaud, derrière un écran… 


Baptêmes rares, disais-je… Sauf pour ces catéchumènes qui découvrent Dieu, son Amour et ont soif de le chercher et d’en vivre davantage et de le suivre dans le pas de Jésus. Et il ne faut pas sous-estimer leur nombre… Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le tant qu’il est proche disait encore la première lecture. C’est ce qu’ils font, ces catéchumènes, touchés par la grâce que Dieu leur fait.


Mosaïque du baptistère de St-Paul
Maurice Denis


La fête du baptême du Christ nous amène à nous questionner sur notre propre baptême : oui, prenons le temps, aujourd’hui, dans le silence de notre cœur et de notre conscience, ou ensemble à l’heure du repas, du thé ou du café, de nous interroger sur notre baptême…


Ai-je encore soif de Dieu ? Le cherchons-nous encore ? Où et comment ? Ou nous contentons-nous de croire l’avoir trouvé ? Suis-je attentif à la grâce que Dieu m’a faite un jour et qu’il renouvelle à chaque moment dès que j’entre en communion de prière, d’esprit avec Lui ? Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube… mon âme a soif de toi ! chantons-nous le dimanche et aux fêtes avec le psaume 62 : le chantons-nous sincèrement ou machinalement ?


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Jésus n’avait pas besoin d’être baptisé et encore moins besoin du baptême de Jean le Baptiste. Alors pourquoi l’a-t-il fait ? Il nous le dit lui-même : il n’est pas venu abolir mais accomplir. Qu’il s’agisse de l’ancienne Alliance, de la Loi de Moïse, ou de son Incarnation, il est venu accomplir, c’est-à-dire les porter à leur achèvement, les parfaire, les compléter, les dépasser… 


Jésus accomplit la Loi de Moïse dans son commandement d’Amour ; l’ancienne Alliance dans le sang eucharistique versé pour nous et pour la multitude comme Alliance nouvelle et éternelle. Par son Incarnation, il accomplit l’homme comme Enfant de Dieu… Le baptême de Jean était un baptême de conversion dans l’eau, Jésus l’accomplit en baptême dans l’Esprit-Saint et le feu. (Mat 3, 11).


Oui, Jésus accomplit, parfait, complète notre humanité, notre dignité lorsque, par le baptême, nous devenons enfant de Dieu. Devenir enfant de Dieu, c’est entrer dans une relation de foi, de complicité, de communion d’amour avec Jésus, reconnu Christ et Sauveur. Celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu, rappelait saint Jean dans la deuxième lecture, et Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu (I Jn 4, 7).


Certains demanderont : Pourquoi être baptisé ? À quoi ça sert, si l’on est sauvé sans être baptisé ? Le baptême n’est pas une obligation ni une punition, c’est un cadeau, un don de Dieu : la porte ouverte pour entrer dans une attitude, une démarche de vie où l’on se conduit en enfant de Dieu parce qu’on se reconnaît enfant de Dieu. La manière d’entendre à notre tour la voix du Père qui nous dit : Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. Oui, Dieu trouve sa joie en nous dans l’accomplissement de notre humanité, à l’école de son Fils bien-aimé, chaque fois que nous accomplissons son message d’Amour…


Je ne parle pas ici du baptême de Jean (baptême de conversion) mais du baptême d’Esprit, de feu annoncé et promis avec Jésus. Or nous en restons trop souvent à la seule dimension de conversion de notre baptême alors qu’il s’agit peut-être de plonger carrément dans ce baptême d’Esprit et de feu… Qu’est-ce à dire ?


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En cherchant à vivre selon l’Esprit et le feu du baptême reçu… C’est-à-dire selon l’Esprit de Jésus : apprendre à voir, comprendre, agir et aimer comme il l’a montré, comme cela nous est relaté dans les Évangiles, et avec ce feu dévorant, passionné d’Amour que Jésus est venu allumer sur la terre : Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! (Lc 12, 49).


N’est-ce pas à nous, frères et sœurs de Jésus par le baptême, d’entretenir ce feu aujourd’hui, tout particulièrement dans ce contexte désespérant pour beaucoup de la Covid ? Nourrir ce feu d’Amour pour embraser les cœurs, réveiller la soif de Dieu !


Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! ajoute Jésus (Lc 12, 50). Et si notre baptême nous engageait au-delà de nos limites, venait à exiger davantage de nous jusqu’à dire un jour, comme Jésus, sur la croix : Tout est accompli » ? 


Qu’est ce qui sera accompli ? La promesse d’eau vive désirée chaque matin : Mon âme a soif de toi ! ; l’eau vive promise à la Samaritaine : L’eau que je donnerai deviendra une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle (Jn 4, 14-15). Celle qu’a reconnu Ignace d’Antioche, juste avant de mourir : … Il n’y a plus en moi qu’une « eau vive » qui murmure et qui dit au-dedans de moi : « Viens vers le Père » (Lettre aux Romains). Quand nous entendrons à notre tout ce « Viens vers le Père ! », alors, nous aussi, nous aurons accompli notre chemin d’enfant de Dieu.