Subir ou servir ?

5e dimanche du temps ordinaire (année B)


D’ordinaire, la première lecture (coup d’œil sur l’AT) et l’évangile du dimanche (NT) sont choisis en dialogue : comme pour nous montrer quel accomplissement des promesses Jésus est venu réaliser. Mais difficile, ce dimanche, de trouver le lien entre la lamentation de Job et la guérison de la belle-mère de Pierre, sauf si la plainte de Job pourrait aussi être celle de cette femme épuisée au fond de son lit.


Le lien serait plus évident entre Paul qui explique la nécessité impérieuse d’annoncer l’Évangile – mission qui lui est confiée et pour laquelle il n’a aucun mérite – et Jésus qui ne veut pas qu’on le retienne : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »


Mais alors, comment accueillir ces trois lectures sans les trahir ? Quel message nous adressent-elles ? Je décèle trois thèmes qui s’entrecroisent : l’esclavage, le service et l’annonce de l’Évangile.


L’esclavage : La vie comme corvée… « Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre… »  (Job). On devine cet esclave à la corvée qui aspire à un peu de répit légitime, de fraîcheur bienfaisante…

Paul, lui aussi, parle d’esclave : « Je me suis fait l’esclave de tous » dit-il, afin d’en gagner le plus possible… ;


Et Jésus, selon la lettre de Paul aux Philippiens, n’est-il pas celui qui, de condition divine, n’a pas hésité à prendre la condition d’esclave en devenant semblable aux hommes pour mieux les rejoindre, s’abaissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ?


Le service : À peine guérie, la belle-mère de Pierre se met à les servir…

Paul affirme s’être « fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns ».

Jésus lui-même rappellera qu’il n’est pas « venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ».


L’annonce de l’Évangile : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » affirme saint Paul, précisant que c’est une nécessité qui s’impose à lui.

Et Jésus qui ne veut pas qu’on le retienne : « c’est pour cela que je suis sorti, pour proclamer l’Évangile… »


Alors : Esclavage ou Service ? Subir ou Servir ?


Je ne parle pas ici des nouvelles formes d’esclavage qui maintiennent dans bien des formes d’addiction diverses : relations face à un pervers narcissique, réseaux sociaux, jeux, alcool, pornographie…


Mais je suis surpris, au fil des journaux d’informations, de constater que l’on semble davantage subir cette situation sanitaire de la Covid plus qu’on ne l’affronte et cela pèse énormément sur le moral de nos concitoyens : salariés, familles confinées en télétravail, étudiants, artistes, enseignants, chefs d’entreprises… Dans l’économie, la culture… tous sont affectés comme si c’était la fin du monde… alors que ce n’est peut-être que la fin d’un monde avant celui de demain qu’il faut inventer en évitant les erreurs passées.


Et je me demande parfois comment ont fait nos grands-parents ou ceux qui ont connu la guerre pour supporter 4-5 ans de privations, de couvre-feu, de restrictions… Il me semble qu’il y avait, chez nos anciens, une endurance, une résilience que nos générations « d’enfants gâtés », oserais-je dire, ne savent plus supporter. Quelles étaient donc leurs ressources ?


Habitués désormais à tout avoir, tout de suite, à ne plus savoir attendre, patienter, nous sommes démunis dès que nous ne maîtrisons plus la situation… Quelles sont donc nos ressources aujourd’hui ?


Trop de gens subissent aujourd’hui… Cela est vrai pour ceux qui sont dans une situation terrible, mais pas tous…  Je n’oublie pas, bien sûr, celles et ceux qui servent et font face avec une détermination admirable : les soignants et tous ceux qui restent au service du plus grand nombre.


Esclavage ou service ? Subir ou servir ? Christ nous a libérés ! Il est venu pour nous sauver de tout cela : de l’angoisse, de la maladie, de la mort…. Et nous célébrons chaque dimanche sa victoire sur la mort. Baptisés dans sa Pâque, nous sommes inlassablement conviés à passer de l’esclavage à la liberté : devenir pleinement des enfants de Dieu libres. Recouvrer notre liberté, comme on recouvre la vue…


« Libre à l’égard de tous… » disait Paul, j’ajouterais : « Libre à l’égard de tout… ». De cette liberté qui n’est pas de faire ce que l’on veut, quand on veut, comme on veut, mais de cette absence de liens qui nous retiennent et nous empêchent d’être librement au service des uns des autres.


« Libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile, pour y avoir part moi aussi. » rappelait Paul. Quelles étaient donc ses ressources pour en arriver là ?


La révélation du mystère caché depuis les origines ? comme il le dira, et que Dieu lui a fait connaître, de manière « renversante », si j’ose dire. Tous ses schémas, ses convictions, ses principes pharisiens reçus de Gamaliel ont été balayés au regard de la Révélation que Dieu lui a accordée sur le chemin de Damas et qu’illustre la toile marouflée de Maurice Denis dans le chœur de notre église.


Serait-ce donc la foi au Fils de l’Homme qui donne ces ressources, qui donne du sens, de la perspective à l’existence ? Comment a-t-elle pu bousculer, transformer Paul au point de nous dire aujourd’hui qu’annoncer l’Évangile, cette Bonne Nouvelle, est une nécessité qui s’impose à lui ? Un message, une révélation qu’il ne peut pas taire ni garder pour lui… Envoyé pour la répandre… et sauver le plus grand nombre…


Frères et sœurs, cette nécessité d’annoncer l’Évangile, pour Paul mais aussi pour Jésus « car c’est pour cela que je suis sorti » nous rappelait-il, ne peut pas nous laisser indifférent : demandons à l’Esprit Saint de réveiller en nous le feu de l’Évangile pour en témoigner, en donner envie, au lieu de nous désoler que nos enfants ne pratiquent plus ou n’ont pas baptisés leurs enfants… 


C’est à nous, dépositaires de cette Bonne Nouvelle, qu’il revient, par notre conduite, notre manière de vivre, d’aimer, de servir et, je l’espère, de redonner confiance, espoir, enthousiasme à nos contemporains face au monde qui se dessine pour demain.


Fr Philippe Jeannin, o.p.