Par Sophie Parlatano Erbrich


Il y a quelques mois j’ai accepté la responsabilité d’un chœur d’enfants. Un chœur non encore constitué, mais à créer. La proposition m’a été faite par la paroisse. J’ai moi-même chanté depuis mon plus jeune âge, puis fait partie d’une maîtrise d’enfants, et la musique a été pour moi non seulement une source d’enrichissement personnel, mais aussi une manière privilégiée d’amorcer mon cheminement spirituel -chemin qui m’a menée une fois adulte vers le baptême. Alors j’ai dit «oui» à ce nouveau défi, mue par l’élan de transmettre à mon tour ce que j’avais reçu. Or le défi est ailleurs que là où je l’attendais. Les joies et les difficultés aussi.


Une réalité

Je l’apprends de fois en fois, mener une chorale enfantine, c’est laisser de côté ses a priori et ses attentes. C’est venir avec ce qu’on est et ce qu’on peut, avec ce qu’on a ou que l’on n’a pas, et ceci de mon côté comme du leur. Des chants polyphoniques, des antiennes grégoriennes, des canons, l’Ave Verum de Mozart ou d’autres «tubes» des maîtrises d’enfants des cathédrales françaises? J’en aurais rêvé, mais oublions ça ! Il y a d’abord une réalité à laquelle il faut faire face : le nombre d’enfants ne dépasse guère les doigts d’une main et ces menottes-là sont celles de fillettes entre 5 et 8 ans.


Flûte, Lego et ciseaux

Mener une chorale d’enfants, c’est venir avec sa flûte à bec ou son xylophone: car nos mains ne courent pas aussi habilement sur le clavier d’un piano que sur celui d’un ordinateur. C’est venir avec des Lego pour essayer d’illustrer aux enfants la ligne mélodique et tenter de leur apprendre la deuxième voix d’une chanson. C’est prendre avec soi des ballons de baudruche, puis se raviser au dernier moment, craignant que les dimensions de la salle ne puissent contenir l’enthousiasme que les ballons gonflés pourraient déclencher. C’est apporter un jeu de vignettes illustrant les principales émotions. Un jeu concocté à l’aide d’un magazine pour enfants, de ciseaux et de colle en bâton, afin de mettre en mots quelques débordements d’ordre émotionnel et d’envisager ensemble plus sereinement les prochains événements humains qui pourraient inéluctablement survenir.


Tout accueillir


Mener une chorale d’enfants c’est prendre la spontanéité des petites têtes blondes en pleine face. Par exemple un «tu fais une de ces têtes quand tu chantes! » ou un «Ah ben non, ça c’est pas une chanson de Noël car il y a pas le mot «Jésus». C’est s’étonner de la question « pourquoi est-ce que tu as des cheveux blancs » et c’est répondre avec réalisme qu’à mon âge -cinquante ans- ce sont « des choses qui arrivent », et puis c’est sourire sans se cacher en entendant la réaction de son interlocutrice de sept ans « ah bon ?  Moi j’aurais dit quarante ! En tout cas tu ne fais vraiment pas vieille du tout ».


Mener une chorale d’enfants, c’est tâcher d’accueillir tous les états d’âme, du «j’en ai marre» ou «j’ai pas envie de chanter», « je veux rentrer » au «quoi c’est déjà fini ?» et «je veux revenir chanter toutes les fois»


C’est prendre, si besoin est, un petit moment pour écouter parler les enfants de leur petit frère ou petite sœur, de leur souci du jour ou du cours de danse qui précède ; entendre et essayer d’apaiser les «je ne comprends rien» et les «je n’y arrive pas» avant que les larmes ne pointent.


C’est ouvrir ses bras quand la cadette vient s’y lover pour une bonne dizaine de minutes, fondant subitement en larmes à cause d’une remarque lancée innocemment par une autre fillette. C’est permettre au pardon de se faire, dans la plus grande des simplicités dont seuls sont capables les enfants.


Douter et apprendre


Mener une chorale, c’est apprendre beaucoup de choses de la part des enfants, et même sans le demander. J’ai appris par exemple que nous venons tous et toutes des étoiles, et que la graine dans le ventre de la femme, qui donnera par la suite un bébé, vient de …Dieu.

Mener une chorale d’enfants, c’est douter. C’est même parfois avoir peur. Je me suis demandée, lors de la toute première répétition, prise de panique, comment j’allais faire pour apprendre des chansons au petit groupe, constatant que produire un son commun identique relevait de toute une aventure. Mais la persévérance paie. Et c’est une joie proche de la jubilation, quand on parvient enfin à obtenir, au bout de plusieurs tentatives, un vrai unisson.


La joie


Lors de leur première apparition devant l’assemblée, c’est la joie de réussir à capter l’attention des enfants, et celle de voir s’allumer des petites étoiles sur leurs visages. C’est aussi la joie de recevoir des retours émus de paroissiens. Presque un petit miracle, quand on se remémore la répétition houleuse qui avait précédé, où la mise en place du micro sur pied avait suscité des vocations soudaines d’oratrices et des émulations dignes de l’émission TV « the Voice »… Sans parler du froid hivernal qui régnait dans l’église non chauffée et les quelques minutes qui nous restaient pour mettre au point les chants. Dans ces conditions, mener une chorale enfantine, cela ressemblait soudain à naviguer sur des eaux houleuses, à la limite ténue entre la douce fermeté et l’éclat de colère…


La voix et ses mystères


Et pour moi particulièrement, mener une chorale, c’est avoir désespérément besoin des enfants et c’est croire de toutes ses forces à ces petites voix de dentelle, encore en construction, quand ma propre voix, censée être forte et mature, disparaît dans les brumes mystérieuses d’une longue aphonie.


Bien sûr, mener une chorale c’est faire de la musique, de temps en temps, et le plus souvent possible. La «tendresse» de Bourvil et Marie Laforêt, des courts refrains de Taizé, un petit gospel d’origine africaine, un chant de l’éveil à la foi font partie de notre répertoire en cours.


Et la suite ?


Finalement, mener une chorale enfantine c’est être à l’avant-scène de l’apprentissage du «comment bien vivre ensemble». Un grand merci pour la confiance qui m’a été accordée. Merci aussi aux parents parfois présents et toujours d’un précieux soutien.

Mon souhait pour la suite ? Que les petites voix se comptent dans un avenir proche sur les doigts des deux mains ! Et si je peux préciser mon vœu : que quelques enfants un peu plus âgés viennent soutenir les plus jeunes !